Les hommes-bulle

Salut, moi c'est Bruce. Un mec parmi les autres, invisible, pourtant d'un autre monde. Tous les matins quand je me lève je mets en route mon Ipod et j'écoute mes cent morceaux de Blues tout en ouvrant les volets. Puis je pense alors à ce que je vais faire de ma journée. Quand j'ai bien tourné la chose, après l'avoir bien retournée, tournée dans tous les sens, et même reblochée, je me dis: "Pfff! A quoi ça mène tout ça?"
Alors je décide de refermer l'écran blanc qui se trouve sous mes yeux. Il devient noir. Je monte me coucher.

Je dors. Profondément. Je rêve. Je remue dans mon lit. Parfois j'ai des cauchemars. Alors je me réveille en sursaut. Transpirant. Haletant. J'ai peur. Le dehors me fait peur. Les gens me font peur. Le travail me fait peur. Les choses me font peur. J'ai peur de tout. J'ai peur de la vie. J'ai peur. Je suis angoissé. Je. Moi. Ma pensée. Mon texte. Ma leçon. Mon but. Ma vie. "Quel petit égoïste!", dirait mon ancienne prof de français. Elle ajouterait: "Ah ben ouais, que voulez-vous?" Moi je ne veux rien, à part faire de ma misérable vie une existence qui a un sens, je veut devenir quelqu'un; pas quelqu'un de célèbre ou qui fait des choses importantes, mais quelqu'un qui vit, qui a vécu et qui vivra, puis s'évanouira avec les étoiles, une nuit froide ou personne n'aura une pensée pour moi, mais comme la mort n'aura plus rien à me prendre, je partirais sans regrets. Si on a des regrets quand on part, on se dit: "Merde! J'ai foiré ma vie!"

C'est à sa mort qu'on réalise réellement si on a foiré sa vie ou pas. Ce n'est pas l'adolescent qui a eu un 18 dans au moins quatre matières dont les maths et le français qui pourra dire "J'ai réussi ma vie!". Ce n'est pas non plus le Lycéen qui aura fréquenté le lycée le plus réputé de sa région qui pourra dire: "J'ai réussi ma vie!". Ce n'est pas non plus celui qui aura un métier de prestige et gagnera bien sa vie, qui pourra dire qu'il l'a réussie. Non, tous ceux-là sont ignorants et imbus d'eux-mêmes. Comme moi par exemple qui, en écrivant ceci, croit tout savoir sur le comportement social de l'Homme et qui pense que son avis vaut plus que celui de monsieur n'importe qui.

Seulement moi je ne suis pas n'importe qui. Je suis l'être seul qui, dans sa prison de chair, réalise qu'il n'existe pas, vit à peine dans son petit rêve niais, assis dans un fauteuil confortablement avachi. Je suis celui qui a conscience de son être, mais s'ignore lui-même. Je ne peux même pas dire que j'erre sans but car je n'erre pas et j'ai un but. Un paradoxe immobile et immuable, semble être.

Moi qui croit en tout et en rien à la fois, moi qui croit que ceci a un sens, car tout n'est rien et rien est tout à la fois. Moi qui croit que parce que je prétend aimer certaines choses, je le gueule haut et fort à cet écran brillant, fenêtre que je n'arrive pas à ouvrir. C'est pourtant ce qu'on recherche lorsqu'on s'y met, ouvrir la fenêtre de l'écran pour atteindre ce qui est inatteignable, mais je ne daigne pas faire cet effort-là. Bon fainéant je ne daigne faire aucun effort qui dans l'immédiat ne m'apporte rien, et surtout pas ce que je veux. Oui, je veux, je veux, mais ne fais rien pour l'avoir. C'est bien idiot! Pourquoi faudrait-il faire quelque chose pour avoir ce que l'on veut? Et d'ailleurs pourquoi veut-on? C'est inutile puisqu'à la fin on va tous y passer, dans l'au-delà. Alors à quoi bon construire une bâtisse qui, contre toute attente, peut être démolie par un grand méchant loup telle une maison en paille où vivent trois petits cochons.

Ceci s'appelle ** **********, un mot en dix lettres seulement mais qui fait pousser des milliers de mauvaises herbes dans votre jardin. On reste enfermé dans sa propre bulle, celle qu'on appelle le Moi, l'égo, qui est à priori incassable. On n'a pas la force de la casser, on n'a pas de force du tout, sauf celle d'aller s'allonger. Ensuite on veut, encore faut-il le vouloir, mais on ne fait rien, on attend, on imagine, on espère, on croit que, on pense, on suppose, mais rien ne vient, car la force que l'on n'a pas seule permet de briser la bulle. Cette bulle on l'a formée tout seul, mais on ne s'en souvient pas.

Et on l'aime sa petite bulle à soi. Comme c'est nous qui l'a créée on l'aime, on a du mal à s'en séparer. Et on se rebelle contre tous les vilains qui veulent nous faire comprendre que cette bulle n'oeuvre pas pour notre bien. Et, le bébé qui tient à sa bulle répond: Oui mais... il ne peut répondre plus, parce que lui-même sait qu'il n'y a rien d'autre à dire. Alors il se met à chialer, il pense qu'il lui reste ses yeux qui peuvent lui servir à cela.

La nuit, quand on ne dort pas on est assis, passif.
Le jour quand on dort on est allongé, on rêve de sa bulle. Parfois on fait un cauchemar dans lequel la bulle éclate. Alors on prend peur. Grosse crise d'angoisse.
La nuit quand on dort, ça se passe bien, parce que c'est normal. Le corps se repose, reprend des forces.
Le jour quand on ne dort pas on travaille, que ce soit en étant à l'école, ou en étant dans la boutique à la casse, ou n'importe où du moment qu'on travaille.
Le cerveau et le corps se serrent la main comme les deux corbeaux du dessins animé, et ils travaillent comme un seul. C'est mieux, c'est normal, parce qu'en travaillant on se travaille soi-même.

Un travailleur est un forgeron, il a son art particulier de frapper du marteau son enclume, il a son art de faire des épées, courbes, souples, longues, légères, solides... Le forgeron qui dort la nuit et forge le jour est un bon forgeron. Le rêveur éveillé qui croit forger le jour dans son sommeil, et qui croit forger la nuit alors qu'il s'abrutit devant on ne sait trop quoi, celui-là n'est pas un bon forgeron, et n'est pas un bon du tout.

Le pire de tous c'est celui qui tient deux jours et deux nuits sans dormir. Ce dernier est en plus dangereux car il ne sait plus bien ce qu'il fait, quand il prend le métro de Porte de Saint-Clou il arrive endormi à l'autre bout...
Mais il y a aussi celui qui dort trois jours de suite, celui-là oublie tout ce qu'il a fait les trois jours d'avant...

Quand les astronautes sont las de leur petite bulle, quand ils n'ont plus assez d'espace et souhaite respirer à la surface, comme font les baleines, ils portent toujours un masque. Et bien sûr, ils cherchent à attirer l'attention de tous les autres, parce qu'ils ne savent que vivre pour eux, même avec les gens normaux. Alors ils parlent, même si ce qu'ils disent n'a pas de sens, et ils veulent avoir raison, alors ils haussent le ton si leur interlocuteur donne un avis contraire au leur.

-
Plus le temps passe, plus l'angoisse cannibale me dévore les poumons.
-

Le cerf et son faon

Un jour de printemps un cerf et sa biche mettent à bas un faon. Frêle et chétif le rejeton souffre. Il gambade jusqu'à l'orée des bois, broutant les mauvaises herbes et les orties piquants. Un jour la biche se retrouve coincée dans un piège et meurt. Le cerf désespéré, implore les esprits de la forêt. Il reçoit en retour une herbe d'argent censée guérir son enfant. Lorsqu'il la lui donne le maigre faon lui arrache et se hâte de l'avaler, se rendant plus malade encore. Il offre alors à son père une herbe en or. Le sage mâle observe, mais n'a pas le temps de voir une racine s'enrouler autour de sa patte. Impuissant il s'allonge et contemple la brochure: les brumes du passé l'enferment dans un silence éternel.

Les dieux nous ont prévenus: n'ouvrons pas la boîte de Pandore, afin de ne pas être plus tenté encore; et ne nous laissons pas comme Merlin emprisonner dans des glaces cristallines, de peur de perdre notre autorité.