Glissements de sens

Le cynisme, tout le monde sais ce que c'est; pour une définition, consultez le dictionnaire ou Wikipedia. Un cynique est une personne pratiquant le cynisme, ha, ha...
Mais l'origine de ces mots, on s'en souvient, provient des Cyniques, ces philosophes grecs comme Anthistène, Diogène de Synope, Cratès ...
Et leur nom vient du chien, ceux qui vivent comme des chiens, méprisant les biens de ce monde, en autarcie presque totale, affichant leur mépris pour les nantis, défiant l'autorité politique et morale, déféquant et copulant en public, j'en passe et des meilleures.
Ils ont fait quelques émules modernes, comme Onfray et Cioran.

On est loin de l'acception actuelle du cynisme, donc, voilà un beau glissement sémantique.
Il y en a d'innombrables, cet exemple vous incitera-t-il à en trouver d'autres ?

Dans un topic récent, j'évoquais un glissement de sens à propos du mot "racisme".

Voici un extrait d'un ouvrage ancien :


Race et racisme : Petit Larousse illustré 1951



Racisme : Théorie qui tent à préserver l’unité de la race dans une nation



Race : Ensemble des ascendants et descendants d’une famille, d’un peuple : la race d’Abraham . Variété constante qui se conserve par la génération : la race humaine ...etc



On voit que le mot racisme s'applique à des caractères biologiques, à la procréation. Aujourd'hui si vous dites ne pas aimer telle musique ou telle cuisine en vogue à l'étranger, ou si vous critiquez telle religion autre que le chistianisme, ou si vous plaisanter sur une personne autre que française, vous pouvez être taxé de raciste.



Les raisons du glissement sont évidentes, le racisme étant associé à nazisme, en vous accolant le qualificatif de raciste on vous entache du qualificatif de nazisme.



A défaut d'argumenter, on utilise un mot biaisé pour contrecarrer un interlocuteur. Une certaine catégorie de journalistes excelle à cet exercice.

Je savais que je pouvais compter sur vous, lanlord.
Vous avez choisi un excellent exemple; en effet racisme sert de nos jours (erronément) à exprimer le rejet d'une religion, par exemple, certains islamistes trairent les occidentaux de racistes parce que incroyants, infidéles (kouffars) et vice versa.
Si ce n'est pas un beau glissement,ça !
Il est impropre, bien sûr, puisqu'il amalgame race et religion, mais je prédis qu'il va faire son chemin.
De l'importance de la concision (eh oui, encore et toujours)...

Vulgaire par exemple, je discutais avec une amie hier et je lui expliquais que Vulgaire désigne à la abse l'homme du peuple, et non nécessairement une manière de parler pleine d'interjection.
C'est Nietzsche qui parle beaucoup de l'éthymologie des mots, en nous expliquant que le bon le beau, viennent à la base de ce qui est noble , et donc de l'aristocratie, contrairement à ce qui est bas et vulgaire donc.

Les mots sont des symboles et c'est ainsi qu'ils se chargent de sens par la pratique.

Il y a des glissements par des voies diverses. Un spécialiste oserait des mots savants;

ex : la catachrèse : figure qui consiste à rendre une idée pour laquelle il n'y a pas de mots dans la langue par une idée voisine de la première. On dit une "feuille" de papier : la faible épaisseur rappelant la feuille des arbres.

On peut utiliser le sens " figuré" qui est un glissement à partir du " sens propre"

Le vécu d'un mot le charge progressivement de concepts qui se surajoutent : les moines, pour écrire sur une table la recouvraient de leur robe de "bure". Ainsi naquit le mot bureau.
Puis la pièce qui contenait ce meuble constitua un bureau : "entrez dans mon bureau". Puis des personnes réunies pour certaines responsabilités administratives devinrent les membres du bureau : élection du bureau.

Le sens des mots peut varier si un individu, par un évènement retentissant, lui donne un sens particulier : livre, chanson, journaux.

Pour biaiser un mot, certains journalistes n'hésitent pas à déformer la phrase qui le contenait à l'origine... La diabolisation d'un individu ou d'un groupe aide à biaiser les mots qu'ils utilisent.

Vaste sujet, n'est-il pas ?

Eh oui ! Et on ne parle pas des initiateurs du surréalisme tels André Breton,Paul Eluard, Philippe Soupault, Pierre reverdy et j'en passe dont les textes sont particulièrement fertiles en glissements de tous ordres. Il faut dire qu'ils s'inspiraient de leurs illustres prédécesseurs A.Rimbaud et surtout Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont.
Je vais relire les "Chants de Maldoror", source de bien des plaisirs sémantiques (enfin, question de goûts...)

Parmi les mots qui piègent plus qu'ils ne renseignent je proposerai, en politique, les mots droite et gauche.

On peut passer de la place des députés dans l'hémicycle en France à une qualification générale, valable en tous temps et tous pays.

Sans compter qu'on peut être adroit ou gauche.

Selon sa culture on peut donner un certain poids aux mots.

Si j'évoque le mot racaille = rebut de la société, je peux y voir une injure de la droite sarkozienne. Si je lis " le manifeste du parti communiste" traduit de l'allemand par Laura Lafargue je peux trouver le paragraphe suivant :

" Quant à la racaille, cette pourriture passive des couches inférieures de la vieille société, elle peut se trouver çà et là , entrainée dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; cependant,ses conditions de vie la disposeront plutôt à se vendre à la réaction."

Le mot racaille remplace " lumpenproletariat" : le prolétariat en haillon, la racaille.

Un homme de droite se serait-il inspiré d'un ouvrage oublié par les hommes de gauche ?

Droite, gauche : les rares mots enseignés aux chevaux à qui on ne demande pas de réfléchir !